Se soigner avec le cannabis
Quand on parle de cannabis, on évoque souvent le joint, la drogue et l’interdiction... Pourtant, cette substance possèderait aussi des vertus médicinales dans certains cas. En vente libre, les vertus du CBD suscitent de nombreuses questions.
Ces vertus sont connues depuis l’Antiquité où le cannabis était utilisé de manière médicale du Moyen-Orient à la Chine en passant par l’Inde1. Dans cette partie du monde, le chanvre indien a été utilisé dès 1000 ans avant J.C. pour une gamme variée de fonctions: comme analgésique (contre les maux de tête, dentaires..), anticonvulsif (contre l’épilepsie, le tétanos), tranquillisant (contre l’anxiété, l’hystérie..), anti-inflammatoire (rhumatismes..), antispasmodique (colique, diarrhée), antibiotique, antiparasitaire, stimulateur de l’appétit…
Utilisé sous forme d’extrait ou de teinture, le cannabis pour usage thérapeutique a fait son apparition en Europe au 19ème siècle, principalement en tant que sédatif, analgésique, antiémétique (contre les vomissements) et anticonvulsif. Mais ce n’est réellement qu’à la fin du 20ème siècle, après la période de prohibition, que ses qualités médicinales ont été étudiées de manière scientifique et rigoureuse. En 1992, l'intérêt pour cette substance a rebondi avec la découverte par le Pr Raphael Mechoulam d'un analogue du cannabis fabriqué par l'organisme lui-même, l'anandamide. Selon ce professeur de l'Université de Jérusalem, "le système des endocannabinoïdes joue un rôle dans pratiquement tous les systèmes physiologiques qui ont été observés"2. De quoi orienter les recherches sur les utilisations thérapeutiques du chanvre.
Mode d’action des cannabinoïdes
Les endocannabinoïdes sont des substances produites naturellement par le corps humain, en très faibles quantités. Synthétisées à la demande, elles interagissent avec deux types de récepteurs : le récepteur cannabinoïde 1 (CB1) jouant un rôle essentiel sur l’activation des neurones de notre système nerveux central (cerveau et moelle épinière), et le récepteur cannabinoïde 2 (CB2) se trouvant pratiquement exclusivement sur les cellules de notre système immunitaire, dont la rate. CB1 et CB2 sont impliqués dans de nombreux processus physiologiques comme, par exemple, la maturation cérébrale3 ou la masse osseuse4.
A la manière des endocannabinoïdes, le THC – ou delta-9-tétrahydrocannabinol, le composé actif principal du cannabis- possède une grande affinité pour ces deux types de récepteurs, ce qui explique son action psychotrope mais aussi son potentiel thérapeutique. Comme le THC, d’autres cannabinoïdes végétaux présents dans le cannabis peuvent prétendre avoir des vertus similaires.
Parmi les 60 composés connus, le cannabinol (CBN) et le cannabidiol (CBD) sont les plus répandus et étudiés, le second -non psychoactif- intéresse particulièrement les chercheurs pour ses propriétés anti-inflammatoires remarquables associées à des actions neuroprotectrices et à un effet antiarthrititque chez la souris [5]. En Israël, pays où le taux de consommateurs de marijuana à usage médical est le plus élevé au monde, une association aurait d’ailleurs mis au point et ferait pousser une nouvelle variété de cannabis dont la teneur en CBD a été amplifiée, tandis que celle du THC a été réduite6.
Synthétiser des substances cannabinoïdes dépourvues d’effets psychotropes mais dont l’efficacité thérapeutique est prouvée, tel est un des défis de la recherche actuelle.
Les vertus connues des cannabinoïdes aujourd’hui éclairées
Plusieurs centaines d'études7 ont permis de confirmer certaines propriétés des cannabinoïdes entrant dans la composition du cannabis médical :
- Comme analgésique, en particulier en tant qu’adjuvant pour les douleurs chroniques résistantes8, bien que dans certains cas, le cannabis ne serait pas plus efficace que de la codéine (un opiacé) et serait contre-indiqué pour les traitements postopératoires9.
- Comme agent antispasmodique, utiles en cas de sclérose en plaques10. Dans ce cas-là, une diminution de la douleur et des troubles du sommeil liés à cette pathologie sont généralement observés11,12. Une étude récente suggère que le cannabis pourrait encore être utilisé comme antispasmodique en cas d’épilepsie partielle13 ;
- Comme substance anti-vomitive et contre les nausées, pour les patients sous chimiothérapie14,15 ou atteint d'un sida16 ;
- Pour stimuler l'appétit, en cas de maigreur importante ou de cachexie (dénutrition très importante) chez les personnes âgées en long séjour, les patients atteint du sida17 ;
- Mais aussi pour améliorer le sommeil18, dilater des vaisseaux pouvant améliorer le glaucome19, etc.
Le cannabis, sous sa forme naturelle ou chimiquement modifiée, montrerait ainsi une efficacité significative pour certaines conditions pathologiques.
D'autres applications prometteuses...
Même si elles doivent être étayées par d’autres recherches, de nouvelles pistes20 ont également vu le jour suite à la réalisation d'études scientifiques, suggérant par exemple, une efficacité possible face à certaines maladies neuro-dégénératives21, comme la maladie d’Alzheimer ou face à la croissance de certaines tumeurs en provoquant la mort programmée des cellules cancéreuses22. Les cannabinoïdes et leurs agonistes synthétiques (molécules ayant des propriétés biochimiques similaires) sont encore envisagées pour lutter contre l’obésité, les troubles obsessionnels compulsifs (TOC) et des tics pathologiques comme le syndrome de la Tourette. Des travaux ont montré encore que le THC permettait de réduire le phénomène d’athérosclérose, caractérisé par l’accumulation sur les parois des artères de dépôts de graisses23.
Une étude randomisée publiée dans « JAMA Psychiatry » (Bhattacharyya S. et al., 2018) suggère que le cannabidiol (CBD), cette substance non addictive du cannabis permet de moduler l'activité cérébrale anormale des régions impliquées dans la psychose et mettrait ainsi en évidence un effet positif du cannabidiol contre la psychose24.
Ces exemples ne représentent que quelques-unes des voies de recherche suivies par les scientifiques, qui continuent d'explorer aujourd'hui les dysfonctionnements du système endocannabinoïde afin d'identifier d'autres rôles éventuellement positifs du cannabis externe (non produit par l'organisme)25.
Si le cannabis médical a des bénéfices connus et reconnus, utilisé en complément des thérapeutiques classiques (pour gérer les effets secondaires) ou en alternative à d’autres traitements, son usage –et donc sa prescription- est délicat. En effet, l’action bénéfique du THC –ou des cannabinoïdes assimilés- pose le problème du dosage précis à évaluer pour éviter les effets secondaires immanquables (endormissement, vertiges, augmentation de la fréquence cardiaque, intoxication..). Sous quelle forme de fait administrer la drogue pour minimiser ces effets ? La forme fumable est celle qui est la plus utilisée dans les essais cliniques (effets plus constants et plus rapides que les décoctions ou le cannabis consommé par vaporisation) mais c'est aussi la plus toxique pour les bronches et les poumons.
Pas question d’encourager la fumette…
Ce frein, ainsi que le nombre peu élevées des populations cliniques à l’étude et l’aura diabolique entourant la drogue, expliquent pourquoi le cannabis médical n’est autorisé qu’avec parcimonie.
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Références
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Auteur: C.Depecker